Cette histoire écrite, il y a quelques années, prend tout son sens aujourd’hui. Je vous en partage une version imprimable, mais une version audio est en cours de réalisation.
Un grand merci à Patrick de Sinety pour ses conseils littéraires, et à Astrid Cornet pour ses dessins.
Pipelette Sécotine est une petite fille qui aime parler. Elle adore raconter tout ce qu’elle fait. Elle a tout le temps besoin qu’on l’écoute. Une idée lui traverse la tête, elle doit se confier à quelqu’un. Quand on ne prête plus attention à elle, Sécotine se met en colère : hier, elle a même cassé le vase de maman!
Pipelette Sécotine est bavarde comme trois pies. Du matin jusqu’au soir, elle coupe la parole, chante, crie.
Tu connais son secret? C’est Fanfaronne qui parle. Fanfaronne? Oui, c’est elle qui sort sans demander la permission, de la bouche de Sécotine. A l’école, elles s’amusent à couper la parole à la maîtresse sans lever le doigt. Ce qu’elle dit est toujours plus important que ce que les autres ont à dire : une vraie commandeuse!
Pipelette Sécotine et sa parole sont inséparables. Le soir quand Sécotine dort, Fanfaronne chuchote encore.
Pourtant, une seule personne est capable de les faire taire : Grand-mère Carabistouille. Quand le soir vient, juste après le dîner et le bain de Sécotine, elle s’installe dans son grand fauteuil rouge. Pipelette Sécotine, avec Fanfaronne, s’assoit sur le tapis. Elles s’arrêtent de parler. On a l’impression que l’on vient d’inventer le silence, même les mouches refusent de voler.
Grand-mère Carabistouille ouvre son livre de contes, et sa douce voix s’élève. Commence alors l’aventure incroyable d’un dragon, d’une princesse, d’une sorcière, ou d’un lutin.
Un soir, comme d’habitude, Grand-mère Carabistouille s’installe. Cette fois-là, le récit qu’elle raconte va changer pour toujours la vie de Pipelette Sécotine… C’est l’histoire d’un magicien du silence qui aime son fils plus que tout ; un petit garçon blond qui ne parle pas. Le magicien fait terriblement peur. Et oui, il kidnappe les paroles des enfants pas sages ; et fabrique des élixirs, des potions magiques, pour soigner son fils.
Pipelette Sécotine tremble et regarde sa grand-mère terrorisée. Et si cette histoire était vraie?
Cette nuit-là, Sécotine s’endort tard dans la nuit. Elle surveille Fanfaronne, sa parole, du coin de l’oeil. Quand enfin, Sécotine s’envole au pays des rêves, c’est le royaume des cauchemars et du magicien du silence qui l’accueille. Au matin, elle se réveille paniquée et cherche Fanfaronne. Elle ne la voit pas. Elle essaie de l’appeler. Aucun son ne sort de sa bouche. Fanfaronne a disparu.
Comment peut-on vivre sans parler? Comment se faire entendre? Pipelette Sécotine est perdue.
Ses parents la rassurent : ça arrive à tous les enfants de son âge. Il est temps de partir, et de découvrir qui elle est vraiment. Elle retrouvera sa Fanfaronne, même si le chemin lui semble difficile !
A la tombée de la nuit, la famille se retrouve autour d’un grand feu. Papa lui donne son couteau fétiche ; et maman sa belle écharpe bleue, elle n’aura pas froid pendant le voyage. Grand-mère Carabistouille, elle, lui confie son livre de contes.
Au petit matin, Pipelette Sécotine les embrasse fort et part sur la route, son sac à dos bien rempli. Elle ne se retourne pas, elle a envie de pleurer. Sécotine marche longtemps sans s’arrêter, ni rencontrer personne. Epuisée, elle s’assoit sous un arbre. Elle est fière d’avoir réussi à partir pour retrouver Fanfaronne.
Au moment de s’endormir, elle se sent très seule. Pour se consoler, elle prend son livre de contes et l’ouvre au hasard. Comme par magie, Sécotine voit sa maman, son papa, grand-mère Carabistouille. Ils lui sourient. Apaisée, elle se laisse alors emportée par le marchand de sable au pays des rêves.
Elle est réveillée par une odeur de chocolat chaud. Elle ouvre les yeux et voit, devant elle, un bol et des tartines de confiture. Qui donc a préparé tout ça?
Assis en face d’elle, se tient un petit garçon de son âge. Ses cheveux blonds se dressent sur la tête en désordre. Il s’appelle Tibou. Un peu inquiète, elle l’observe, il ne parle pas. Ses yeux pétillent de malice, et la regardent en souriant. Pour jouer avec elle, il se met à l’imiter : quand elle prend son bol, il saisit un bol imaginaire. Sécotine commence à se gratter la tête, à mettre ses pieds derrière le cou, à faire des grimaces; il fait de même (sauf les pieds derrière la tête, il n’est pas assez souple). A la fin, ils éclatent de rire en se tenant le ventre.
Ils passent la journée ensemble. Sécotine est émerveillée, et très intriguée, par les mains de Tibou. Elles semblent danser pour communiquer, mais la petite fille ne comprend pas ce qu’elles disent.
Le soir venu, ils rangent ensemble ses affaires; avant de prendre la route en se tenant par la main. Celle de Tibou est chaude, et rassurante. Elle est heureuse, elle a un Ami.
Quand ils arrivent chez lui, elle est surprise de voir plusieurs enfants les accueillir. Tous font danser leurs mains, en silence; et ils se comprennent. Elle observe longtemps Tibou et ses amis. Danser, faire de la musique, ou dessiner, chacun communique à sa façon.
Elle commence à les imiter, à faire danser ses mains. C’est difficile, car il faut bien regarder les autres pour les comprendre, elle n’est pas habituée. Elle ne perd pas courage, et quelle fierté quand elle réussit !
A présent, le silence ne lui fait plus peur. Il l’apaise.
Tous les soirs, Sécotine s’assoit sur une souche d’arbre et les enfants s’installent autour d’elle. Elle ouvre alors le livre de Grand-mère Carabistouille et fait danser ses mains. Ils l’écoutent; les yeux pleins de sorcières, de monstres fantastiques, de dragons, de princes et de princesses. L’histoire terminée, le marchand de sable passe et les emmène au pays des rêves.
Sécotine réalise qu’elle n’a jamais été aussi heureuse.
Un soir, son livre s’ouvre à la page de l’histoire du silence. Elle se rappelle du magicien qui kidnappait les paroles des enfants. Et Fanfaronne, alors ? Elle regarde longuement autour d’elle, et comprend enfin : Tibou est le fils du magicien !
Ses amis, d’habitude si gais, semblent ailleurs. Tibou les regarde, se lève, et leur fait signe de le suivre. Ils marchent longtemps jusqu’à un grand, et sombre château.
On y entend uniquement les sanglots du maître des lieux, le magicien du silence. Il n’a pas réussi à guérir la parole de son fils, elle vient de mourir. Ainsi, on peut perdre sa parole pour toujours ; Parler, c’est pas un jouet ! Sécotine est bouleversée.
Tibou, lui, s’approche de son père. Il lui prend les mains, et l’embrasse pour le consoler. Il n’a pas besoin de sa Parole pour aimer et communiquer, ses mains danseront à jamais. Le magicien sourit, et le château s’éclaire de mille couleurs. Toutes les cages s’ouvrent, libérant les paroles volées. On entend résonner, dans toutes les pièces, les rires des enfants.
Sécotine et ses amis retrouvent leur Parole. Fanfaronne lui raconte ses peurs; et , elle, ses aventures avec Tibou. Elles ont tant de choses à se dire. Soudain, Sécotine réalise qu’elle parle avec sa bouche, tout en continuant à faire danser ses mains.
Elle est comblée; mais elle a très envie de revoir ses parents et sa grand-mère, de leur partager ce qu’elle a appris. Et son Ami, doit-elle vraiment lui dire adieu ?
Avant de partir, elle donne son livre de contes à Tibou. Le soir, ce sera lui qui fera danser ses mains pour les enfants malades. Ils se retrouveront, ensuite, dans leur jardin secret, celui des rêves. Elle le serre fort dans ses bras, et s’en va.
La vie redevient comme avant (enfin pas tout à fait!).
Sécotine a expliqué à Fanfaronne qu’il faut écouter, et regarder les autres. Elles s’observent parfois, tendrement, en silence.
A la maison, elle réfléchit avant de poser une question. Maman ne lui répond plus « c’est pour faire parler les pipelettes », mais lui explique ce qu’elle veut savoir.
Comme elle lève le doigt, la maîtresse l’interroge volontiers. A la récréation, les enfants s’installent autour d’elle. Sécotine racontent alors à ses amis des histoires de dragons, de princes et de princesses.
Mais le moment qu’elle préfère, c’est le soir. Après le bain et le dîner, elle écoute attentivement les contes de Grand-mère Carabistouille; avant de rejoindre Tibou au pays des rêves pour faire danser leurs mains, ensemble.
Ses amis l’appellent désormais Sécotine-aux-mille-histoires.